L’Europe résiste à la viande cellulaire
Plusieurs gouvernements européens refusent par avance toute autorisation de vente de viande cellulaire et organisent leur opposition. Les consommateurs ont-ils la même réticence ?
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Les promoteurs de la viande cellulaire (muscle produit en laboratoire à partir de cellules souches animales) aimeraient bien entrer en Europe, synonyme d’un grand marché solvable. Pour l’heure, après avoir reçu trois autorisations dans le monde (Singapour, États-Unis, Israël), ils butent sur une résistance politique européenne en train de se structurer.
Le 1er février 2024, le Premier ministre Gabriel Attal annonçait qu’il « demandera une définition claire de la viande de synthèse au niveau européen ». Sous-entendu, on ne laissera pas les choses se faire sans broncher. Huit jours avant, la Commission européenne avait reçu la demande des ministres de l’Agriculture, menés par l’Autriche, l’Italie et la France, de ne pas accorder d’autorisation tant qu’une étude de ses impacts socio-économiques n’aura pas été faite. Sans cela, la viande cellulaire entrerait seulement dans le registre des nouveaux aliments (novel food), qui ne nécessite qu’une autorisation sanitaire de l’Efsa et un étiquetage. Les Pays-Bas et le Danemark s’en contenteraient.
Des lois
En France, certains élus ont déjà choisi leur camp. Chacun de leur côté, deux députés, Pierre Cordier (app. LR, Ardennes) le 5 décembre 2023 et Caroline Colombier (RN, Charente) le 13 février 2024, ont déposé une proposition de loi visant à interdire la viande cellulaire. Une loi similaire a été adoptée par les Italiens en novembre 2023. La Slovaquie déclare suivre la même voie. En France, le Sénat, sous la plume du sénateur de Haute-Saône Olivier Rietmann (LR), a publié en avril 2023 un rapport critique sur les aliments cellulaires.
La première viande cellulaire de bœuf est autorisée (01/02/2024)
Face à ces positions de parlementaires, regardons si les acheteurs sont si réfractaires à manger de la viande produite à partir de cellules musculaires. Plusieurs études scientifiques publiées en 2022 et 2023 apportent des réponses à cette interrogation. Elles exploitent un vaste questionnaire envoyé en plusieurs milliers d’exemplaires à travers le monde par des chercheurs français (dont l’Inrae). Ces données ne sont pas représentatives de la population, en particulier parce que les jeunes, les scientifiques et les végétariens sont surreprésentés, mais elles permettent de percevoir les tendances des consommateurs.
Curiosité
De cet ensemble, il ressort tout d’abord que les consommateurs ne repoussent pas la viande cellulaire a priori, même si beaucoup sont hésitants. Les répondants à l’enquête ont même parfois une bonne image de la viande cellulaire. Au Brésil, 66 % d’entre eux sont prêts à essayer. La tendance est la même dans un ensemble qui comprend l’Italie, le Portugal et l’Espagne. Et en France ? L’Hexagone crève les plafonds : 80 % se disent curieux et sont prêts, là encore, à essayer. Voilà qui paraît donner tort aux parlementaires.
Des chiffres à nuancer cependant. Ils semblent refléter uniquement la curiosité des consommateurs parce qu’ils sont 40 % à ne pas vouloir en consommer régulièrement au Brésil ou dans le sud de l’Europe. En France, seulement 35 % des sondés sont volontaires pour en manger régulièrement. Auparavant, des études plus partielles donnaient la même tendance. En 2015, en interrogeant un groupe de 1890 étudiants et chercheurs de part le monde, ce taux tombe à 10 %, la grande majorité préférant encore aujourd’hui réduire leur consommation de viande notamment s’ils sont sensibles aux questions éthiques et environnementales. Une autre étude de 2017 aux États-Unis, auprès d’un groupe d’un peu moins de 700 personnes, indiquait déjà que seule une minorité inférieure à 20 % était en faveur d’une viande cultivée. En 2020, une étude allemande confirmait cet écart entre ceux qui veulent essayer le produit et ceux qui veulent en consommer régulièrement.
La question suivante se penche sur leur volonté de payer pour acheter cette viande cellulaire, ce qui serait le seul critère pour qu’un marché existe. En France, les avis sont partagés : si 21 % admettent que la viande cellulaire peut être plus chère que la viande traditionnelle, le reste la souhaite au même prix (30 %), moins chère (26 %), voire pas vendue du tout. Au Brésil, 71 % des répondants sont désireux de payer « beaucoup moins » pour une viande cellulaire et seulement 4,8 % à payer plus. Dans plusieurs pays d’Afrique, 65 % veulent payer moins. Ils sont 87 % dans ce cas en Chine.
Prix
En 2022, des chercheurs ont placé les consommateurs britanniques, espagnols et français devant quatre niveaux de prix pour un (virtuel) steak haché cellulaire : 3,50 €/kg, 8,50 €/kg, 13,50 €/kg, et 18,50 €/kg. La proposition s’accompagnait de différents niveaux d’information sur l’empreinte carbone ou sur l’usage d’antibiotiques. Ceux qui sont prêts à payer plus pour la viande cellulaire en France acceptaient un surcoût de 30 %.
Ce qui va dans le sens d’une précédente étude menée par l’université de Maastricht (Pays-Bas) en 2020. 193 participants ont été divisés en trois groupes : l’un recevait des informations sur la qualité et le goût de la viande cellulaire, un autre obtenait une information sur les questions sociétales et le troisième groupe sur sa consommation. Ensuite, ils étaient invités à manger deux hamburgers, l’un estampillé « conventionnel » et l’autre « cultivé ». En réalité, les deux étaient de la viande cultivée. Mais, même en l’absence de différence objective, 58 % ont déclaré l’apprécier et être prêt à payer 37 % plus cher que la viande conventionnelle. Ce qui fait dire à l’université de Maastricht que les consommateurs seraient prêts à payer un prix premium s’ils reçoivent « la bonne information » sur le sujet. Cela donne une idée de la bataille du marketing qui va se mettre en place dès que les éventuelles autorisations seront données.
Marketing
Pour l’heure, l’argumentation principale des promoteurs de la viande cellulaire est celle d’une solution aux questions environnementales et éthiques de l’exploitation des animaux. La perception de ces arguments a été demandée à un groupe de près de 5500 personnes en France. L’échantillon n’avait pas pour objectif d’être représentatif. Mais il permet de vérifier si l’argumentation porte ses fruits. Ce qui n’est pas certain : environ la moitié ne considère pas que la viande cellulaire est plus éthique ou meilleure pour l’environnement que l’élevage traditionnel. En revanche, ils sont une nette majorité (55 à 60 %) à estimer que la viande cellulaire aura un effet négatif sur les territoires ruraux et l’élevage traditionnel. En opposition avec l’étude menée à Maastricht, il semble qu’une meilleure connaissance de la viande cellulaire n’améliore pas l’acceptation de celle-ci, voire aurait tendance à augmenter la méfiance. « Tout dépend, selon des études plus récentes, si l’information est donnée au moment de l’enquête, avec un biais possible dans l’information donnée, ou si les consommateurs déclarent avoir eu une information préalable leur ayant permis de se faire une opinion plus réfléchie », explique Jean-François Hocquette, directeur de recherche à l’Inrae.
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